Préface - Une vie en anthroposophie

Livre : Une vie en anthroposophie

La face cachée des écoles Steiner-Waldorf

de Grégoire Perra & Élisabeth Feytit

Merci aux éditions La Route de la soie

Merci également à Richard Monvoisin pour sa préface qu’il m’a autorisé à reproduire ici…

Préface de Richard Monvoisin, didacticien des sciences
spécialiste des théories étranges, il enseigne la pensée critique à l’Université Grenoble-Alpes

Le livre paru le 25 novembre 2020 aux éditions La Route de la soie est une retranscription agrémentée de l’entretien entre Élisabeth Feytit, du podcast Méta de choc, et Grégoire Perra, ancien enseignant d’école Steiner-Waldorf, désormais transfuge du mouvement anthroposophique. Richard Monvoisin en a fait la préface, que je vous relais ici.

Préface : Une vie en anthroposophie

Je me pose souvent la question de savoir s’il est moral, dans l’absolu, de faire un enfant. Se demander si l’espérance de vie à la naissance qu’on lui donne est correcte ; s’interroger sur ses chances de survivre à la mort subite, aux maladies infantiles, aux coins de table et aux passages cloutés. On peut questionner la famille qu’on lui donne, avec parents violents ou non, présence de livres ou pas, catéchisme obligatoire ou non avec le père Preynat, confort financier de départ ou capital symbolique conséquent ; du lieu où il naît – serait-il plus moral de faire naître un enfant en Normandie que dans l’Uttar Prasdesh ? La vie vaut-elle la peine d’être vécue dans une forêt d’altitude du Montana, loin du gradient de pollution, ou près d’un champ d’épandage de produits phytosanitaires dans la Beauce ? On peut ergoter sur la qualité du monde dans lequel on le lance tel un paquet, une France autodéclarée patrie des droits de l’Humain, mais troisième vendeuse d’armement au monde, refusant l’asile à Julian Assange et capable de s’ingérer militairement dans les affaires d’autres pays sans mandat international. On peut s’inquiéter de ne pas avoir préparé, à ce charmant bambin, cette mignonne bambine, un modèle économique dans lequel les droits des individus dépasseraient les droits des entreprises et où fortune et capital ne pourraient être amassés sans limite par certains, tandis que d’autres meurent des mouches dans les yeux. De lui imposer un environnement qui se réchauffe, des pénuries d’eau, des oiseaux et des insectes qui disparaissent. Bref, inviter à naître quelqu’un dans ce bourbier ne va pas de soi, et le regretté philosophe Ruwen Ogien tranchait ainsi la question : si l’on est loin d’être certain de garantir le bonheur d’un gamin, on peut par contre être sûr qu’il endossera une grosse dose de souffrance, que ce soit le harcèlement à l’école ou les chagrins d’amour, la maltraitance au travail ou les violences conjugales.

Je crois que je suis d’accord avec lui. J’ai moi-même fait deux enfants, et je trouve ça aussi plaisant qu’immoral. Maintenant, à moins de les emmener couper du bois la nuit et de les perdre dans la forêt, je suis condamné à m’en occuper jusqu’à leur émancipation. Et de fait les lambeaux qui restent de ma moralité me poussent à leur offrir force câlins et bisous placebo, mais aussi un maximum d’outils intellectuels, afin qu’ils puissent déjouer les sirènes des propagandes, contourner les pièges des pseudosciences, briser les plafonds de verre sociologiques et aller bouter hors de leur cerveau tous les rétrécisseurs d’horizon.

C’est l’une des raisons de mon fort intérêt pour les pédagogies dites alternatives. Certes, mon côté jacobin défend les vertus de l’enseignement public, mixité sociale, tronc de savoir commun, fonctionnariat et service public, mais je sais bien, pour l’avoir vécu dans ma chair, le caractère mortifère que cela peut prendre : relations autoritaires prof-élève, classes surchargées, nivelage du niveau, manque de moyens, pantomime politique de la représentation des délégués de classe…

Mon avis sur la question, en tant que pédagogue, rejoint en quelque sorte celui que je défends sur les thérapies « alternatives » : s’empresser de mettre ce qui ne fonctionne pas au grenier des théories fausses, mais bien prendre leçon de tout ce qui participe des effets contextuels dits « placebo », comme la prise en charge longue, aimable et enchanteresse dans ces thérapies, et de réinjecter le tout dans le soin scientifique public.

En terme d’éducation, idem : je rêve de garder une coquille commune, populaire et gratuite, avec des enseignants salariés et des moyens conséquents dans des classes légères. Puis d’y importer la pertinence des concepts de John Dewey, Paolo Freire, Francisco Ferrer ou Célestin Freinet, qui font souffler un vent de libertarisme sur et dans nos chères têtes blondes (ou brunes, ou crépues, chauves, peu importe).

Mais comme l’écrivait Michael Shermer1, heresy does not imply correctness. Qui dit « hérétique », ou « alternatif », ne signifie pas forcément exact ou valable. Et dans la gamme des pédagogies alternatives faussement émancipatrices, arrive probablement en tête celle des écoles Steiner-Waldorf. Car aussi séduisantes et bien achalandées soient ces dernières, aussi flatteuse et ostentatoire y soit l’inscription de son enfant, la pédagogie Steiner est malheureusement un étonnant, un remarquable leurre.

Quiconque envisageant de mettre son enfant dans une telle école bénéficierait d’y réfléchir à deux fois, tourner sept fois sa langue dans sa bouche, encore sept fois dans la bouche de quelqu’un d’autre, et surtout lire les lignes qui suivent. Ces lignes retracent le chemin de Grégoire Perra, non seulement ancien élève d’école Steiner-Waldorf, mais devenu lui-même enseignant de ce type d’établissement, avant de tout plaquer.

Ce monsieur explique à qui veut bien l’entendre ‒ et Élisabeth Feytit veut bien l’entendre ‒ que dans ces écoles, sous prétexte de liberté maximisée, l’enfant y est très peu guidé, et souvent laissé à sa propre inertie. Les mantras le disputent aux récitations. Les mythes et légendes s’entremêlent à l’enseignement de l’Histoire. Les cycles censés régir le développement de notre chérubin sont des cycles cosmiques, postulés par des auteurs de science-fiction spirituelle venus de la Théosophie, une doctrine syncrétiste spirite de 1875. L’étude des genres féminin et masculin se traduisent en termes essentialistes, les « courbes » féminines étant lucifériennes, les « droites » masculines relevant quant à elles d’Arhiman, l’autre démon, terrestre, froid et éthérique. Et attention à ne pas prendre la pilule, de peur de se couper du cycle cosmique.

Dans l’éducation physique professée se loge l’eurythmie, sorte de rituel dansé qui prend rapidement un tour curatif : les séries de mouvements réalisés seraient conseillées entre autres pour les pathologies aiguës, chroniques ou dégénératives des système nerveux et circulatoire, sans pour autant avoir été l’objet d’évaluations. D’ailleurs, les soins qui y sont vantés n’ont généralement pas de fondements scientifiques, ce qui n’est finalement pas si grave si l’on accepte la prémisse posée par le fondateur de ce type d’école, affirmant que les maladies ne sont pas des maladies à proprement parler mais des « dettes karmiques », des sortes de fautes contractées dans une vie antérieure, dont il faut bien un jour s’acquitter. Quant au cancer, qui serait une trop forte stimulation des organes par Lucifer, l’ange déchu, il serait aisément combattu par Viscum album, le gui qui, une fois fermenté, serait par essence préservé de l’influence « aérienne » du démon. Si en lisant cela, comme moi, le sang pulse fort dans vos pariétaux, ne craignez rien : le sang est l’apanage du Dieu Thor, et le pouls est la conséquence des coups qu’il frappe avec son marteau Mjöllnir.

Tout cela est-il si surprenant, une fois que l’on sait que le nom Steiner, adossé à la pédagogie de ces écoles, est le nom de famille de Rudolf, occultiste autrichien du début du XXe. Rudolf Steiner, auteur d’ouvrages incompréhensibles (j’en ai lu un certain nombre), dont les linéaments sont l’ordination des races, les êtres ascensionnés qui vivent dans le ciel, une Nature de type divin et les cycles astrologiques. Le même Steiner, qui, empruntant à Goethe son romantisme antiscience et refusant toute démarche expérimentale, fantasmait un monde cosmo-racialiste dans une doctrine appelée Anthroposophie. Or cette doctrine est le corpus de ces écoles Steiner-Waldorf. C’est aussi le cœur de meule de la « médecine » anthroposophique, qu’aucune instance médicale européenne ne reconnaît. La Suisse est l’unique exception : la Chambre médicale y reconnaît provisoirement la médecine anthroposophique, et une partie des actes est prise en charge par les acteurs (tous privés) de l’Assurance-maladie hélvète, en dépit d’une « incapacité à répondre à l’exigence légale d’efficacité ».

C’est encore le moteur idéologique d’entreprises entières, comme Demeter, Weleda, Triodos Bank ou la Nef. L’illuminisme assumé de Steiner perfuse aussi une agronomie de type magique, la biodynamie, qui, révélée dans une sorte d’épiphanie, suit les rythmes planétaires et les associations de forces occultes. Les outils y sont par exemple l’achillée millefeuille ligaturée dans une vessie de cerf, le tout enterré durant l’hiver moitié sous terre moitié au-dessus, puis diluée dans un tas de fumier. Pourquoi ? Steiner lui-même l’explique dans la cinquième conférence de son cycle de juin 1924, qui sert d’ouvrage de référence :

« Le cerf est une créature animale (…) dans un rapport particulièrement étroit (…) avec ce qui dans cet environnement est de nature cosmique, (…) si bien que la vessie du cerf est presque une image reflétée du cosmos. (…) [Alors] le rayonnement agit. Il y a dans cette substance une force de radiation si extraordinaire – le matérialiste ne refusera pas de croire à des forces de radiation, lui qui parle de radium – pour peu qu’on la mette dans le fumier ».

De même, la bouse de vache enterrée dans une corne, la camomille dans un boyau de bovin ou l’écorce de chêne dans un crâne de cheval « de moins d’un an » deviennent des stimulations plus ou moins astrales, éthériques ou spirituelles.

Il est difficile de concevoir que nous ayons mis plusieurs milliers d’années à sortir des cosmogonies infantiles et à construire des savoirs collectifs non mystiques, et que nous soyons si prompts à replonger dans des modèles scolaires de ce genre. Pourtant, il y a un enjeu de taille. Je ne parlerai pas du soutien personnel d’une ministre récente à ces écoles, ce qui me semble être un épiphénomène, non, je parle de comment faire société avec cela ? Ces écoles proposent, en paraphrasant Steiner, d’« éduquer vers la liberté ». Mais pas n’importe quelle liberté, si ce n’est celle d’absorber un certain nombre de couleuvres pseudoscientifiques, sur la simple base d’une révérence envers un illuminé mystique. Et pas pour tout le monde ! Selon le fondateur, seuls certains « élus » sont dignes de recevoir le monde « idéel ». Et dans la vision apocalyptique de Steiner, lorsque la civilisation actuelle va entrer dans une décadence totale et s’effondrera sur elle-même, ne restera que les écoles Steiner, sortes d’îlots de culture qui seront le modèle de la prochaine civilisation.

C’est en cela que les propos de Grégoire Perra sont honnêtes, courageux, et nécessaires.

Ils sont honnêtes car il faut du courage pour sortir d’une escalade d’engagement à grande échelle, pour prendre de plein fouet sa dissonance et faire un pas de côté pour considérer le chemin parcouru d’un œil sceptique. Serais-je capable de faire la même chose ? J’en doute. Courageux du fait des poursuites, inutiles mais éreintantes, qui lui sont régulièrement faites. Il n’est pas donné à tout un chacun de supporter, moralement et financièrement la vindicte des gens de son ancien monde. Nécessaires enfin car le modèle de société présenté dans ces écoles doit apparaître pour ce qu’il est : un salmigondis brumeux, mysticoïde et conservateur. C’est seulement au prix de la lecture douloureuse des mots de Grégoire Perra, accouchés avec talent par Élisabeth Feytit, que les parents pourront alors faire un choix éclairé pour leurs enfants. Ogien le philosophe disait que seuls nos enfants pourront un jour nous absoudre de la faute morale de les avoir mis au monde. Pourront-ils facilement nous absoudre de les avoir envoyés en école Steiner-Waldorf ? Certainement, avant l’existence de ce bouquin. Après, je ne garantis pas.

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