๐Ÿก Journal dโ€™une maison tranquille

๐ŸŒ… Entrรฉe du matin โ€” Algernon

Algernon est dรฉcidรฉment trop intelligente ๐Ÿญ
Elle a mangรฉ le petit bout de pain sans se faire prendre, ou presque.
Quand je suis arrivรฉ, la tapette avait claquรฉ, mais seule sa longue
queue y รฉtait prisonniรจre. Je ne comprends toujours pas comment elle sโ€™y
est prise โ€” moi, je ne mettrais pas mes doigts lร -dedans ๐Ÿ˜…

Je lโ€™ai libรฉrรฉe doucement, soulevant la trappe avec prรฉcaution ๐Ÿคฒ
Elle sโ€™est รฉchappรฉe comme une ombre, laissant derriรจre elle un petit
souffle de vie.
Cโ€™est la seconde que je sauve : aprรจs la noyade des toilettes ๐Ÿšฝ, voici
la dรฉlivrance du piรจge.
Mes souris ne sont pas vertes, non. Elles sont rusรฉes, vivantes,
obstinรฉes ๐ŸŒพ

Je reste lร , dans ma petite maison silencieuse, un sachet de chips ร  la
main ๐ŸŸ
Le craquement du sel remplace leurs petits pas. Et pourtant, je me sens
รฉtrangement apaisรฉ.
Peut-รชtre que sauver une vie, aussi minuscule soit-elle, cโ€™est dรฉjร  une
victoire sur le froid du matin โ„๏ธ๐Ÿ’›


๐ŸŒ™ Entrรฉe du soir โ€” Le silence aprรจs

La maison est redevenue calme.
On nโ€™entend plus le froissement des pattes dans les coins, ni les petits
bruits de miettes volรฉes ๐Ÿž๐Ÿพ
Jโ€™imagine Algernon, quelque part dehors, reprenant son souffle,
racontant ร  dโ€™autres sa mรฉsaventure.
Une hรฉroรฏne de cuisine, รฉchappรฉe du piรจge ๐ŸŒŒ

Je me demande pourquoi je mโ€™attache ร  ces bรชtes ๐Ÿค”
Peut-รชtre parce quโ€™elles me ressemblent : elles fouillent, elles
cherchent, elles reviennent toujours, malgrรฉ les risques.
Peut-รชtre aussi parce que dans leurs yeux, il y a cette lueur de survie
que jโ€™aimerais parfois retrouver en moi ๐Ÿ”ฅ

Ce soir, la solitude nโ€™a plus tout ร  fait la mรชme couleur ๐ŸŒ‘
Je lโ€™รฉcoute, je la laisse me parler doucement, comme le vent ร  travers
une porte mal fermรฉe ๐Ÿƒ
Il y a quelque chose de vivant dans le vide, pour peu quโ€™on prenne le
temps dโ€™y prรชter attention.

Je crois que demain, jโ€™achรจterai une boรฎte de graines ๐ŸŒป
Pas pour les piรฉger, cette fois. Pour partager ๐Ÿค


๐ŸŒค Entrรฉe du lendemain โ€” Les traces

Ce matin, en entrant dans la cuisine, jโ€™ai vu quelques miettes au bord
du plan de travail ๐Ÿฝ๏ธ
Rien dโ€™extraordinaire, juste un petit dรฉsordre minuscule : une graine
dรฉplacรฉe, un coin de pain grignotรฉ. Jโ€™ai souri ๐Ÿ˜Š
Algernon est revenue ๐Ÿ’ซ

Je nโ€™ai pas bougรฉ le piรจge. Il est toujours lร , ouvert, inactif โ€”
comme un vieux rรฉflexe dont on nโ€™a plus besoin.
Peut-รชtre que cโ€™est un pacte, silencieux : elle prend un peu, je laisse
faire, et chacun continue son existence de lโ€™autre cรดtรฉ du mur ๐Ÿค

Il y a quelque chose de beau dans cette discrรฉtion ๐Ÿ‚
Pas dโ€™รฉclat, pas de mots, juste la preuve quโ€™une autre vie existe ร  cรดtรฉ
de la mienne, minuscule et libre.
Dans cette maison que je croyais vide, il y a de la respiration, de la
volontรฉ, un peu de ruse ๐ŸŒฌ๏ธ

Je me rends compte que je parle dโ€™elle comme dโ€™une amie ๐Ÿญ๐Ÿ’ž
Peut-รชtre que la solitude, ce nโ€™est pas lโ€™absence des autres, mais
lโ€™absence de regard.
Et ce matin, en voyant ces miettes, jโ€™ai eu le sentiment quโ€™on se
regardait, ร  notre maniรจre ๐Ÿ‘๏ธ

Je mangerai mes chips ce soir en pensant ร  elle ๐ŸŸ
Et si elle repasse par lร , quโ€™elle sache : il y aura toujours un peu de
pain pour Algernon ๐Ÿฅ–๐Ÿ’ซ