Journaliste Libre - selon Albert Camus - Le Manifeste

La beauté du numérique et des projets OpenData du Gouvernement !?

Sur le site France Archives (le portail national des archives) j’ai pu retrouver une vraie référence au document relatif aux propos d’Albert Camus sur les principes du journaliste libre.

"les quatre commandements du journaliste libre" : lucidité, refus, ironie et obstination."

Ce document est en fait un comte-rendu de censure et c’est le seul qui retrace réellement le contenu “perdu” !
C’est à la fois ironique et déconcertant…
Je ne fais ici aucune analyse de ces propos.
Je constate par contre que toutes les autres références du Net se croisent entre elles, de l’article original du Monde sur la découverte de la journaliste Macha Séry.

Je cite ci-dessous la fin de l’article en référence ici :
Le manifeste censuré de Camus @ Le Monde (Publié le 18 mars 2012)

L'article que nous publions devait paraître le 25 novembre 1939 dans "Le Soir républicain", un quotidien limité à une feuille recto verso que Camus codirige à Alger. L'écrivain y définit

"les quatre commandements du journaliste libre" : lucidité, refus, ironie et obstination. Notre collaboratrice Macha Séry a retrouvé ce texte aux Archives nationales d'outre-mer, à Aix-en-Provence (lire son enquête page 2). Camus dénonce ici la désinformation qui gangrène déjà la France en 1939. Son manifeste va plus loin. Il est une réflexion sur le journalisme en temps de guerre. Et, plus largement, sur le choix de chacun, plus que celui de la collectivité, de se construire en homme libre.

Fin de citation.

Ce que je trouve amusant, c’est qu’une recherche (trop) rapide sur Internet vous donnera un livre et de nombreuses boutiques vendant ce livre.

D’autres résultats, encore plus nombreux, vous donnerons des PDF et autres documents.
À la fois des analyses et des rédactions de cet article censuré.

Ce qui m’a choqué c’est de ne trouver aucune référence sur le document original.

J’ai donc tout d’abord cherché sur les Archives nationales d’outre-mer, à Aix-en-Provence.

Mais en ligne je n’ai rien trouvé, à part des mentions sur des procès verbaux de censure signé par Albert Camus.

Puis j’ai trouvé des analyses, très intéressantes, sur des sites liés à l’éducation nationale.
Entre autre, Les manuels scolaires BELIN

Ce site détaille les analyses, replace dans le contexte historique et politique, il apporte également d’autres références historiques.

J’ai pu y découvrir un bref aperçu de Henri Rochefort et de sa « La Lanterne » (1868).
Bien avant donc Albert Camus et « Le Manifeste censuré » (1939) publié le 25 novembre 1939 dans « Le Soir républicain ».
Puis la plus récente référence à Florence Aubenas et Miguel Benasayag, avec « La Fabrication de l’information » (1999).

Petit exercice donc, pour chercher les origines d’un propos…
Pour constater les effets de bruits des répétitions d’Internet…
Je mentionne rapidement que WikiPédia est devenu tristement complexe à contribuer car il ne s’appuie maintenant que sur les références et un parrainage !
J’ai abandonné mes contributions, trop fastidieuses, pour des sujets ou les références ne sont pas jugés assez nombreuses ou pertinentes mais ne sont pas vérifiées non plus par les contributeurs parrains…
J’ai fait l’exercice récemment avec un auteur de Série (Baron Noir) et la page manquante a été refusée, d’abord pour des contraintes de format, puis de références…

Voici le PDF (avec une petite reconnaissance de caractère en bonus par rapport à l’original).

“Bonne lecture, soyez inspiré, restez sage, mais persévérez !”
(celle là elle est de moi…)

Voici l’URL vers le document original sur les site FranceArchives

Pour le reste, je vous propose d’approfondir avec les références WikiPédia suivantes:
Le Soir républicain
Albert Camus

EDIT:

Comme l’OCR ne fonctionne pas bien et que le document original n’est tout de même pas très agréable à lire, je vous partage m’a transcription, que j’espère sans erreur (n’hésitez pas à me le faire savoir si vous en décpuvrez, svp !)

COMPTE-RENDU DE CENSURE
DIVISION D'ALGER

Presse française

Journal censuré : LE SOIR REPUBLICAIN du 25 Novembre 1939
Officier censeur : Capitaine DUPUY

"LES QUATRE COMMANDEMENTS DU JOURNALISTE LIBRE"

L'article dont copie ci-dessous a été supprimé :

    Il est difficile aujourd'hui d'évoquer la liberté de la presse sans être taxé d'extravagance, accusé d'être Mata-Hari, de se voir convaincre d'être le neveu de Staline.

    Pourtant, cette liberté parmi d'autres n'est qu'un des visages de la liberté tout court et l'on comprendra notre obstination à la défendre si l'on veut bien admettre qu'il n'y a point d'autre façon de gagner réellement la guerre.

    Certes, toute liberté a ses limites. Encore faut~il qu'elles soient librement reconnues. Sur les obstacles qui sont apportés aujourd'hui à la liberté de pensée, nous avons d'ailleurs dit tout ce que nous avons pu dire et nous dirons encore, et à satiété, tout ce qu'il nous sera possible de dire. En particulier, nous ne nous étonnerons jamais assez, le principe de la censure une fois imposé, que la reproduction des textes publiés en France et visés par les censeurs métropolitains soit interdite au Soir Républicain, par exemple. Le fait qu'à cet égard un journal dépend de l'humeur ou de la compétence d'un homme démontre mieux qu'autre chose le degré d'inconscience où nous sommes parvenus.

    Un des bons préceptes d'une philosophie digne de ce nom est de ne jamais se répandre en lamentations inutiles en face d'un état de fait qui ne peut plus être évité. La question en France n'est plus aujourd'hui de savoir comment préserver les libertés de la presse. Elle est de chercher comment, en face de la suppression de ces libertés, un journaliste peut rester libre. Le problème n'intéresse plus la collectivité. Il concerne l'individu.

    Et justement, ce qu'il nous plairait de définir ici ce sont les conditions et les moyens par lesquels, au sein même de la guerre et de ses servitudes, la liberté de pensée peut être, non seulement préservée, mais encore manifestée. Ces moyens sont au nombre de quatre : la lucidité, le refus, l'ironie et l'obstination.

    La lucidité suppose la résistance aux entraînements de la haine et au culte de la fatalité. Dans le monde de notre expérience, il est certain que tout peut être évité. La guerre elle-même, qui est un phénomène humain, peut être à tous les moments évitée ou arrêtée par des moyens humains. Il suffit de connaître l'histoire des dernières années de la politique européenne pour être certains que la guerre, quelle qu'elle soit, à des causes évidentes. Cette vue claire des choses  exclut la haine aveugle et le désespoir qui laisse faire.  Un journaliste libre, en 1939, ne désespère pas et lutte pour ce qu'il croit vrai comme si son action pouvait influer sur le cours des évènements. Il ne publie rien qui puisse exciter la haine ou provoquer le désespoir. Tout ceci est en son pouvoir.

    En face de la marée montante de la bêtise, il est nécessaire également d'opposer quelques refus. Toutes les contraintes du monde ne feront pas qu'un esprit un peu propre accepte d'être malhonnête. Or, et pour peu que l'on connaisse le mécanisme des informations, il est facile de s'assurer de l'authenticité d'une nouvelle. C'est à cela qu'un journaliste libre doit donner toute son attention. Car, s'il ne peut dire tout ce qu'il pense, il lui est possible de ne pas dire ce qu'il ne pense pas ou ce qu'il croit faux. Et c'est ainsi qu'un journal libre se mesure autant à ce q u'il dit qu'à ce qu'il ne dit pas. Cette liberté toute négative est, de loin, la plus importante de toutes, si l'on sait  la maintenir. Car elle prépare l'avènement de la vraie liberté. En conséquence, un journal indépendant donne l'origine de ses informations, aide le public à les évaluer, répudie le bourrage de crâne, supprime les invectives, pallie par des commentaires à l'uniformisation des informations, et, en bref, sert la vérité dans la mesure humaine de ses forces. Cette mesure, si relative qu'elle soit, lui permet du moins de refuser ce qu'aucune force au monde ne pourrait lui faire accepter : servir le mensonge.

    Nous en venons ainsi à l'ironie. On peut poser en principe qu'un esprit qui a le goût et les moyens d'imposer la contrainte est imperméable à l'ironie. On ne voit pas Hitler pour ne prendre qu'un exemple parmi tant d'autres, utilise rl'ironie socratique. Il reste donc que l'ironie demeure une arme sans précédent contre les trop puissants. Elle complète le refus en ce sens qu'elle permet, non plus de rejeter ce qui est faux, mais de dire souvent ce qui est vrai. Un journaliste libre, en 1939, ne se fait pas trop d'illusions sur l'intelligence de ceux qui l'oppriment. Il est pessimiste en ce qui regarde l'homme. Une vérité enoncée sur un ton dogmatique est censurée neuf fois sur dix. Cette disproportion figure assez exactement les possibilités de l'intelligence humaine. Elle explique également que des journaux français comme le Merle ou le Canard enchaîné puissent publier régulièrement les courageux articles que l'on sait. Un journaliste libre, en 1939, est donc nécessairement ironique, encore que ce soit souvent à son corps défendant. Mais la vérité et la liberté sont des maîtresses exigeantes puisqu'elles ont peu d'amants.

    Cette attitude d'esprit brièvement définie, il est évident qu'elle ne saurait se soutenir efficacement sans un minimum d'obstination. Bien des obstacles sont mis à la liberté d'expression. Ce ne sont pas les plus sévères qui peuvent décourager un esprit. Car les menaces, les suspensions, les poursuites obtiennent généralement en France l'effet contraire à celui qu'on se propose. Mais il faut convenir qu'il est des obstacles décourageants : la constances dans la sottise, la veulerie organisée, l'inintelligence agressive, et nous en passons. là est le grand obstacle dont il faut triompher. L'obstination est ici une vertu cardinale. Par un paradoxe curieux mais évident, elle se met alors au service de l'objectivité et de la tolérance.

    Voici donc un ensemble de règles pour préserver la liberté jusqu'au sein de la servitude. Et après ? dira-t-on. Après ? Ne soyons pas trop pressés. Si seulement chaque Français voulait bien maintenir dans sa sphère tout ce qu'il croit vrai et juste, s'il voulait aider pour sa faible part au maintien de la liberté, résister à l'abandon et faire connaître sa volonté, alors et alors seulement cette guerre serait gagnée, au sens profond du mot.

    Oui, c'est souvent à son corps défendant qu'un esprit libre de ce siècle fait sentir son ironie. Que trouver de plaisant dans ce monde enflammé ? Mais la vertu de l'homme est de se maintenir en face de tout ce qui le nie. Personne ne  veut recommencer dans 25 ans la double expérience de 14 et de 39. Il faut donc essayer d'une méthode encore toute nouvelle qui serait la justice et la générosité. Mais celles-ci ne s'exercent que dans les cœurs déjà libres et dans les esprits encore clairvoyants. Former ces cœurs et ces esprits, les réveiller plutôt, c'est une tâche à la fois modeste et ambitieuse qui revient à l'homme indépendant. Il faut s'y tenir sans voir plus avant. l'histoire tiendra ou ne tiendra pas compte de ces efforts. Mais ils auront été faits.

--- fin de la 1ère page du Journal censuré : LE SOIR REPUBLICAIN du 25 Novembre 1939 

Une petite notre “ironique” tout de même !?
C’est à se demander si les propos ne sont pas adressé au censeur qui va les intercepter.
Mais, double ironie et victoire de l’intelligence du propos, c’est la méthode même qui a été appliquée pour tenter de détruire ce texte, qui lui permettra, tout compte fait d’être conservée jusqu’à ajourd’hui.

🧙 – Gandalf (from “The Conjurers”) ©️ 1982-2022